Le réchauffement est inéluctable mais il faudra pourtant le limiter

Rencontre avec Jean Jouzel Paléoclimatologue, ancien Vice-président du groupe scientifique du GIEC, parrain du Sibca

L’augmentation de la température moyenne entraîne une hausse de la fréquence et de l’intensité des événements extrêmes. Lutter contre cette évolution passe par des mesures fortes pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre mais aussi par l’accroissement du stockage supplémentaire du carbone sur le long terme, comme le permet la construction bas carbone.

Après la publication du deuxième volet du sixième rapport du GIEC en février, plusieurs exemples dont le récent effondrement d’une partie du glacier italien de la Marmolada nous le confirment : les conséquences de la crise climatique ne cessent de s’accroître. Est-ce irréversible ?

Oui ! Malheureusement les conséquences que nous commençons à percevoir sont celles que le GIEC avait anticipées au cours des dernières décennies. L’augmentation de la température moyenne telle qu’elle est observée, par exemple, était prévue dans un contexte d’augmentation des gaz à effet de serre, et il en est de même pour l’accélération de l’élévation du niveau de la mer et l’intensification des événements extrêmes… Tout cela doit nous inciter à prendre très au sérieux ce que notre communauté scientifique envisage d’ici les 30 prochaines années. Le réchauffement climatique est pratiquement joué jusqu’en 2050 et en France on sait d’ores et déjà que cela se traduira très probablement par un degré supplémentaire d’ici à 2050, avec des conséquences sur la fréquence de ces événements. Un degré supplémentaire en température moyenne, cela peut sembler limité mais comme on le voit en France, nous avons eu trois fois plus de jours de canicule durant les 30 dernières années que pendant les 30 ans précédents. On envisage à l’horizon 2050 une intensification des événements extrêmes : des canicules de plus en plus intenses et fréquentes, et des vagues de chaleur à la fois plus précoces (en juin) et plus tardives (en septembre) ainsi que des périodes sans précipitations plus longues. C’est l’une des caractéristiques de ce que nous vivons aujourd’hui : des vagues de chaleur de plus en plus longues et sans précipitations, suivies de pluies torrentielles avec des risques de glissements de terrain et d’inondations, chacun de ces épisodes posant des problèmes parfois catastrophiques, comme on a pu le voir en Belgique et en Allemagne l’été dernier. On ne peut pas parler de cyclone pour la France métropolitaine mais cela concerne nos territoires d’Outre-Mer. Et en Europe, on commence à percevoir ces dérèglements dans nos massifs montagneux avec des glaciers qui se déstabilisent comme la Marmolada ; leurs parois rocheuses elles-mêmes sont constituées de permafrost, ce qui les rend plus friables et dangereuses. À horizon 2050, même dans les régions les plus tempérées comme dans le nord de la France, les précipitations augmenteront l’hiver et diminueront l’été mais l’augmentation de la température se traduit par une augmentation de l’évaporation et le débit des fleuves et rivières y compris dans le bassin Seine-Normandie, sera affecté avec des conséquences sur la recharge des nappes souterraines qui pourrait diminuer de jusqu’à 20 %. C’est encore plus marqué dans le sud de la France. Très présent au sud, le risque de feux de forêt s’étend également à certains territoires comme dans le centre ou l’ouest du pays. Je suis climatologue depuis cinquante ans et voilà des années que l’on dit que le réchauffement est inéluctable. Mais il faudra pourtant le limiter si on veut que les jeunes d’aujourd’hui puissent s’y adapter dans la deuxième partie de ce siècle !

Comment pouvons-nous nous adapter à cette évolution ? Vous avez coutume de répéter que « chaque demi-degré compte » : atteindre en France un mix énergétique à 33 % d’énergies renouvelables d’ici à 2030 vous semble-t-il réalisable ?

C’est techniquement réalisable et cela va être inscrit dans la loi. Cependant je crains qu’avec certaines mesures concernant la diminution des projets d’éolien terrestre, cela devienne difficile voire impossible ! On avait déjà pris du retard (de l’ordre de 3 à 4 %) en 2020 sur nos objectifs en termes d’énergies renouvelables : alors qu’il avait été prévu de doubler la capacité éolienne et la capacité solaire en France, elles n’ont augmenté que de 30 %. C’est regrettable et s’il n’y a pas une accélération, nous ne parviendrons pas à développer suffisamment la part des énergies renouvelables pour freiner les conséquences du dérèglement climatique. Si l’on prend l’exemple de l’éolien offshore, nous sommes très en retard ! Aucune éolienne de ce type n’est mise en service en France alors qu’il y en a plus de 4 000 en Europe. Il faudrait vraiment que les objectifs inscrits dans la loi concernant les énergies renouvelables soient respectés. Je constate que l’ambition présente dans la loi ne l’est pas assez dans la réalité.

Quelle place pour le développement du bâtiment bas carbone dans cette stratégie ?

La lutte contre le réchauffement climatique, c’est à la fois, bien sûr, une diminution des émissions de gaz à effet de serre, mais également du stockage supplémentaire du carbone. En France la biomasse piège déjà une quantité importante de CO2 chaque année : mais une des façons d’augmenter ce stockage, c’est évidemment la construction en bois qui retient le carbone sur de longues périodes. Il faut bien sûr utiliser dans la mesure du possible du bois national pour limiter au maximum son transport. D’autres moyens y contribuent comme la réutilisation des matériaux. À chaque fois que l’on fabrique du béton ou du ciment, on émet du CO2 pour deux raisons : le processus implique la production de gaz carbonique et en plus il faut chauffer et généralement avec des combustibles fossiles… Au niveau planétaire, la production de ciment représente entre 3 et 4 % des émissions de gaz carbonique. Il est donc clair qu’il faut en produire le minimum. L’une des façons d’y parvenir est de construire avec du bois mais aussi d’utiliser des matériaux biosourcés, en tout cas pour optimiser l’isolation ; ou de recycler les matériaux. La construction bas carbone peut donc s’appuyer sur ces deux piliers.

Sommes-nous suffisamment avancés en France dans ce domaine ?

Nous ne le sommes pas assez car cela reste encore trop marginal. Il faut développer ces techniques et cette filière de la construction bois et c’est à cet objectif que participe le Sibca. L’enjeu est que la construction en bois ne se limite plus à quelques exemples emblématiques, mais qu’elle se généralise, remplaçant peu à peu le béton et la brique. La filière dans son ensemble – de la forêt jusqu’à la construction – doit être l’objet de toutes les attentions : comme je l’ai dit, une construction en bois a peu de sens si on importe le bois de Chine ! Il faut également s’orienter vers des projets urbains de grande ampleur qui pour l’instant n’existent pas en France.

Vous parrainez le Sibca : comment analysez-vous l’importance de cet événement ?

L’intérêt de cet événement est de permettre aux gens de prendre conscience du possible : c’est grâce à des salons de ce type que les professionnels peuvent montrer ce qu’est l’utilisation des matériaux bas carbone, afin d’engager les constructeurs et les différents acteurs du bâtiment à s’orienter vers ces nouvelles voies. Les objectifs de neutralité carbone sont inscrits dans la loi, avec comme objectif zéro émission dans le bâtiment et l’urbanisme à horizon 2050, et des émissions divisées par deux entre 2015 et 2030. C’est ambitieux et cela ne concerne pas seulement l’isolation, le chauffage ou la climatisation… mais aussi la construction elle-même ! Si l’on veut respecter les objectifs nationaux affichés, il faut que la construction bas carbone prenne de plus en plus de place. Le bâtiment étant une filière qui cherche des talents, ouvrir de nouvelles voies est aussi une façon d’inviter les jeunes à s’y intéresser.

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