Rencontre avec Fadia Karam Directrice générale d’Espaces Ferroviaires, Directrice du développement de SNCF Immobilier
La SNCF est le deuxième propriétaire foncier après l’État. Quelles sont, dans ce cadre, vos missions ?
SNCF Immobilier est la branche immobilière de la SNCF, créée en 2014. Ses missions pour le compte des SA du groupe qui détiennent ce patrimoine sont de trois ordres : optimiser la gestion de 8 millions de m² de bâtiments occupés par les entités de la SNCF, ce qui représente plus de 25 000 bâtiments ; valoriser les fonciers et bâtiments qui ne sont plus utiles aux activités du groupe ; développer le logement et gérer le patrimoine de logements sociaux via ICF Habitat avec plus de 95 000 logements dont 85 % de logements sociaux.
Depuis 2015, il m’est apparu nécessaire de travailler sur les fonciers valorisables avec les métropoles ou collectivités concernées et de ne pas juste être fournisseurs de fonciers par la vente ou par la location. L’enjeu est en effet de créer des quartiers intégrés en territoire, d’aller plus loin dans la chaîne de valeur et de contribuer véritablement, en tant que maître d’ouvrage, à la transformation des fonciers stratégiques au cœur de métropoles partout en France.
Ainsi SNCF Immobilier œuvre pour l’ancrage du foncier dans la dynamique de chaque territoire métropolitain par le déploiement des partenariats territoriaux : depuis 2015, plus de 20 protocoles partenariaux sont signés couvrant environ 200 hectares de fonciers. Dans son engagement auprès de l’État en matière de logement, SNCF est le premier contributeur du foncier public en faveur du logement soit 50 % de l’effort national. Au travers de notre engagement sociétal, nous ouvrons nos fonciers à des projets d’affectation innovants et solidaires en avant-première des transformations : 40 opérations de Nouvelles urbanités en (opération d’urbanisme transitoire) ont été réalisées depuis 2015, accueillant plus de 4 millions de visiteurs.
Cela représente combien de fonciers disponibles ou de friches aujourd’hui ?
En 2015, nous avons identifié environ 20 000 hectares de foncier que SNCF immobilier gère dont 3 000 hectares de fonciers non utiles aux activités ferroviaires donc potentiellement valorisables : nous en avons déjà cédé 1 000 et il en reste environ 2 000 à transformer. Sur les 3 000 hectares évoqués, certains des fonciers sont cédés aux collectivités pour leurs propres projets d’aménagement ou à des opérateurs privés, d’autres à la filiale Espaces Ferroviaires pour aménagement et développement.
Comment travaillez-vous avec les collectivités ?
Notre action principale de valorisation vise la sobriété foncière : l’urgence climatique amène nos politiques à accélérer les actions menées en faveur du climat. La loi Climat et Résilience inscrit la volonté de tendre vers le « zéro artificialisation nette » (ZAN). Nos fonciers sont un véritable atout pour le développement urbain et la réalisation de nouveaux quartiers mixant logements, activités économiques et équipements publics, associatifs.
C’est là qu’intervient Espaces Ferroviaires, filiale d’aménagement urbain et de développement immobilier de la SNCF, en tant qu’aménageur et au cas par cas aussi en promoteur immobilier de ces sites stratégiques, sur environ 120 hectares situés dans les grandes métropoles, avec pour vocation de redonner vie aux sites fonciers ferroviaires désaffectés.
La première étape consiste à mettre au point avec les collectivités concernées des modalités de transformation : l’enjeu est que les collectivités acceptent de transformer des documents d’urbanisme pour ouvrir des droits à construire sur ces fonciers qui sont ainsi réintégrés dans les stratégies territoriales plus larges. Nous sommes fervents acteurs du ZAN car nous intervenons sur des fonciers déjà artificialisés et le fait d’ouvrir des droits à construire sur ceux-ci permet aux collectivités d’éviter d’artificialiser des fonciers agricoles ou déjà densifiés. Pour ce faire, nous mettons en place des protocoles partenariaux accompagnés de plans d’action pluriannuels : c’est le cas à Paris, Rennes, Toulouse, Bordeaux, Lyon…
Il s’agit soit de sites industriels importants qui se libèrent soit de fonciers situés le long des voies ferroviaires qui peuvent donc bénéficier des transformations de infrastructures existantes et de projets de transport. C’est pourquoi ces programmes accompagnent souvent de grands projets de transport comme la création de lignes nouvelles, des projets de nouvelles gares ou d’optimisation de l’appareil ferroviaire.
Espaces Ferroviaires pilote toute la chaîne de la fabrique urbaine : de la libération de fonciers ferroviaires à la concrétisation du projet d’aménagement, que nous mettons au point avec les collectivités locales et les riverains, à la construction et à la commercialisation des programmes immobiliers, nous maîtrisons tout le processus de reconversion des sites artificialisés pour les réintégrer dans la ville, les fertiliser et créer des quartiers de haute qualité de vie.
En quoi votre stratégie est-elle durable et responsable ?
Espaces Ferroviaires a pour but d’aménager de nouveaux quartiers de ville soutenables, inclusifs et évolutifs. La mixité sociale et fonctionnelle de nos projets est essentielle.
Quatre grande priorités guident notre action et en font notre ADN : réduire l’impact par des quartiers bas carbone optimisant à la fois les effets de l’urbanisation et la baisse d’émissions de CO2 tout en faisant levier sur la production de l’énergie verte (ENR) et le développement de filières biosourcées ; l’économie circulaire en refertilisant à la fois les emprises ferroviaires, en conservant autant que possible le patrimoine industriel tout en valorisant autant que faire se peut les matériaux de chantier provenant de terrains et bâtiments ; optimiser la présence de la nature et de la biodiversité en recherchant l’équilibre optimum entre nature et activités, donnant davantage de place aux services rendus par la nature (îlot de fraîcheur urbain…) et développant des espaces végétalisés récréatifs ou productifs en pleine terre ou en toiture ; accompagner une offre d’usages et de services accueillant de nouveaux modes de travail et d’habitat, qui prône la mixité, en lien avec l’économie sociale et solidaire avec le développement de nouvelles formes d’animation de quartier en programmant des services urbains et des rez-de-chaussée actifs stimulant le lien social. Nous promouvons une organisation urbaine qui favorise une architecture bioclimatique (la disposition des bâtiments étant liée à l’ensoleillement et à la direction des vents).
Autrement dit, création de quartiers bas carbone, économies de ressources, mise en place de réseaux de chaleur, production d’énergies renouvelables, recyclage des matériaux et des déchets in situ, services de proximité pour la ville du quart d’heure…
sont autant d’actions qui concrétisent l’engagement d’Espaces Ferroviaires dans la transition écologique et la fabrique d’une ville sobre, résiliente et agréable. Pour mener à bien cette stratégie, nous nous sommes entourés d’experts et de professionnels reconnus de l’aménagement et de l’urbanisme avec la concrétisation de partenariats structurants.
Ils donnent à notre action toute sa crédibilité et garantissent d’autant plus les objectifs et ambitions que nous nous fixons. En termes d’exemples : avec l’appui du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), nous avons développé des outils d’aide à la décision, comme Urban Print, permettant d’optimiser la réduction de l’empreinte carbone de nos opérations et piloter le bilan carbone de l’opération durant sa réalisation.
Le Booster du Réemploi nous accompagne sur notre objectif de maximiser la réutilisation de matériaux dans les opérations immobilières comme Messager à Paris et 1pulsion à Toulouse, où nous intervenons comme maître d’ouvrage. Nous avons également signé un accord avec le pacte FiBois avec l’objectif de produire 40 % de la surface de plancher en bois biosourcé d’ici 2025 en Ile-de-France. Toutes nos opérations visent un haut niveau de certification et de labélisation environnementale, et Certivéa nous accompagne en ce sens. Enfin, nous avons signé récemment un partenariat avec le BRGM, dont l’enjeu est de valoriser les sols et les sous-sols complexes et de réutiliser des ressources ou matériaux existants dans le cadre de la refertilisation de ces sols.
La SNCF a toujours accompagné les mutations de la société : comment
voyez-vous la ville de demain ?
Le Groupe SNCF est acteur de transformation du territoire par les projets de transport. Espaces Ferroviaires œuvre pour créer une ville plus gratifiante, plus apaisée, riches de services de proximité dans laquelle le bien-être du citoyen est au cœur des préoccupations.
Trois enjeux sont au cœur de notre action pour la ville de demain :
D’abord, la re-fertilisation du foncier en ville, réintroduisant du vivant dans la ville pour répondre aux attentes légitimes des citoyens en matière de verdissement de leur environnement quotidien. Au vu des spécificités des fonciers SNCF, le recyclage urbain que nous menons permet au travers des projets de création de quartiers, la renaturation de ces sites artificialisés et d’éviter l’étalement urbain.
Le deuxième enjeu est de concevoir des espaces publics qui soient véritables vecteurs de lien social durable, faciles à entretenir, porteurs de biodiversité, du confort et d’harmonie, des lieux riches de fonctionnalités et de proximités qui doivent être à la fois sains et esthétiques, animés par des services aux habitants.
La place de la santé est un sujet prédominant pour notre avenir, et pour laquelle nous accordons dans nos opérations une certaine sensibilité dès avant la crise sanitaire mondiale. Espaces Ferroviaires réalise en ce sens, notamment sur les opérations d’Hébert (Paris 18e) et des Messageries (Paris 12e) des études d’impact de l’environnement urbain sur la santé (EIS), avec l’appui de l’Ademe et de l’ARS et en partenariat avec la Ville de Paris. Il s’agit là d’une démarche volontaire et objective de l’aménageur afin d’aller au plus loin dans nos réflexions quand nous parlons de bien-être, de qualité de vie optimisée, avec la prise en compte des inégalités sociales et de la population fragile.
Enfin, le troisième enjeu sur lequel portent nos réflexions, c’est de réinventer une ville productive dans un modèle décarboné, en réintroduisant des activités productives en ville (artisanat, PME innovantes, savoir-faire locaux). Le rôle des rez-de-chaussée est essentiel pour garantir les services de proximité. La logistique urbaine intégrée est aussi favorisée dans nos programmations :
elle constitue un important levier de la réduction du bilan carbone à l’échelle territoriale, notamment par la baisse des flux de transport de marchandises.